Cette drogue fait des ravages aux Comores : “Sous chimique, j’ai failli étrangler ma sœur”

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La chimique est un mélange de tabac, d’alcool à brûler et de farine et se fume sous forme de cigarettes (crédit photo : Ma DemoiZell).

Depuis un peu plus de deux ans, la chimique fait des ravages parmi la population comorienne, transformant ses consommateurs en zombies. Hommes et femmes, ils sont de plus en plus nombreux à succomber à cette drogue de synthèse venue de Mayotte. Dans le pays, il n’existe aucun dispositif d’aide. Forces de l’ordre, médecins, associations… tous avouent leur impuissance.

“La première fois que j’ai fumé de la chimique, j’ai fini aux urgences”, raconte Ahmed (1), 19 ans. Vêtu d’un short jean bleu et d’un polo noir, ce cadet d’une fratrie de huit enfants vient d’un village de la région d’Itsandra. Il est mécanicien et carreleur. Cela fait longtemps qu’il a quitté l’école pour « apprendre à travailler de ses mains ».

« Je ne sais pas ce qui s’est passé, continue-t-il. En me réveillant, je n’avais aucune idée ni de l’endroit où j’étais, ni de ce qui m’était arrivé. Plus tard, lorsque je suis rentré chez moi, j’avais toujours la tête à l’envers. J’arrivais à peine à marcher. Lorsque mes amis m’ont vu arriver, ils se sont mis à rigoler. Ils ne pouvaient plus s’arrêter. J’étais devenu fou disaient-ils. »

Il assure ne pas être accroc à cette drogue et dit fumer juste pour le plaisir. Même s’il a déjà visité deux fois la brigade antidrogue. « Vous savez, la plupart du temps, je fume et je dors. Mais un jour, cela a failli dégénérer. Je ne sais pas comment, je me suis retrouvé dehors. Cela s’est passé dans mon village. Je me suis traîné jusqu’à l’école primaire publique et j’ai commencé à jeter des pierres sur des élèves. Il a fallu l’intervention de quatre personnes pour me maîtriser. »

Ali (1), 22 ans, est bien connu de la brigade anti-drogue. Cela fait un peu plus d’un an qu’il fume de la chimique. “Depuis début 2019”, précise-t-il. Il travaille. Il est coiffeur et carreleur. Comme Ahmed, il est issu d’une famille nombreuse. Sa mère vit à Mayotte. Comme Ahmed, il a quitté l’école en CM.

« J’ai commencé avec du cannabis juste pour passer le temps avec mes potes. Mais à un moment donné, cela ne me faisait plus rien du tout. J’avais besoin d’un truc fort pour m’aider à m’échapper, pour planer… », raconte-t-il, dans son survêtement bleu, arborant un maillot à l’effigie des Cœlacanthes, l’équipe nationale comorienne.

“J’ai failli étrangler ma sœur”

Ali veut échapper à son quotidien, à sa vie de misère. Il se trouve bon à rien. Il travaille mais ce qu’il gagne lui sert à fumer. « Cette drogue coûte extrêmement chère. Le tube est à 2 500 KMF, 5 €. Cela m’est déjà arrivé de vendre mes vêtements pour m’en acheter.» Ce qu’il craint le plus est le manque qu’il trouve «dangereux et insupportable ». Pourtant, comme Ahmed, il refuse de reconnaître sa dépendance.

L’un et l’autre sont conscients que cette drogue est destructrice. « Moi, ça me rend totalement fou, confirme Ahmed. Mes réflexions changent. Ce qui bouillonne dans ma tête n’est pas humain. J’ai failli étrangler ma sœur un jour. Depuis, je suis banni de ma famille. Ma mère ne veut plus me voir tant que je n’arrête pas. Elle dit que je détruis ma vie. A chaque fois, j’essaie de me dire que c’est le dernier, mais je n’y arrive pas… »

Comme Ali et Ahmed, ils sont nombreux, aux Comores, à avoir succombé à la chimique. Sur YouTube, de nombreuses vidéos circulent montrant des hommes et des femmes sous l’emprise de cette drogue de synthèse et en proie à des délires profonds.

La chimique est arrivée sur le territoire des trois îles de l’archipel, via Mayotte, en 2018 et fait, depuis, des ravages. Comas éthyliques, violences, folie meurtrière… “Je ne peux pas vous dire combien de jeunes sont devenus fous à cause de cette pourriture”, constate, amer, le commissaire de l’anti-drogue, Alaoui Maoulana Charif. « La chimique est extrêmement dangereuse, insiste-t-il. Elle est d’une violence unique et peut causer la mort. »

Aux Comores, deux sortes de chimique se font concurrence, particulièrement à Grande-Comore. “La première est importée de Chine vers Mayotte. Cette dernière est un pur produit, hautement dangereux”, explique le commissaire. La deuxième est fabriquée à Grande-Comore. Cette drogue couleur locale est “un mélange de tabac, d’alcool à brûler et de farine. Ils le sèchent au soleil avant de le fumer sous forme de cigarettes. Les effets sont tout aussi ravageurs », explique Alaoui Maoulana Charif.

Des laissés pour compte

Sur l’archipel des trois îles sœurs, il n’existe aucun rapport, ni aucune donnée fiable permettant de connaître le nombre exact de consommateurs de cette drogue et de mesure ses conséquences.

Le Dr Anziza Chadhouli, médecin généraliste point focal de lutte contre la drogue du secteur santé, témoigne qu’au moins trois personnes chaque semaine finissent aux urgences de l’hôpital de référence El-Maarouf. Ils arrivent à moitié comateux, ramassés par la Sécurité civile. Ils sont plus nombreux le week-end. « Certains sont violents. Les autres ne savent même pas ce qui se passe. Ce n’est qu’après leur réveil que nous leur expliquons », confie-t-elle.

« On les remet sur pied pour qu’ils puissent rentrer chez eux. Et le lendemain, ils reviennent…” Le médecin avoue son impuissance. “Nous ne pouvons rien faire d’autre pour eux. Nous n’avons ni habilitation, ni contrôle pour les aider à s’en sortir. Il n’existe aucun dispositif pour les accompagner.”

En 2017, l’Union africaine a mis au point un projet pour aider les pays membres à résoudre ce problème. Le Dr Naouirou Mhadji, point focal de l’Union africaine de lutte contre la drogue qui travaille au projet Sida, affirme qu’aux Comores, l’Union africaine a eu du mal à trouver un interlocuteur disposé à faire le travail. Ce n’est qu’au début de l’année dernière qu’il a accepté d’élaborer « la situation pays ». Aujourd’hui, il se heurte au manque criant de données.

Créée en 1995, l’Association comorienne de la prévention contre la drogue dit faire ce qu’elle peut, avec les moyens du bord. “Il y a neuf mois, nous avons créé le réseau national antidrogue, explique son secrétaire général Elhad Abderemane. Nous travaillons avec les pays de l’Océan indien. Nous avons constaté que non seulement le nombre des consommateurs augmente mais aussi que les Comores sont devenues une plaque tournante, un lieu de transit de la drogue. Notre objectif est de nous battre pour une prise en charge des consommateurs afin qu’il puissent s’en sortir. » Mais sans autre soutien, l’association, qui n’a jamais réussi à obtenir sa reconnaissance d’association d’utilité publique, se sent bien seule.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

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