Dans le cadre d’une enquête mondiale, menée par ProPublica, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et la Cellule Norbert-Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo), sur le comportement des consuls honoraires, plusieurs d’entre eux sont accusés d’appartenir à des réseaux de crimes organisés ou d’activités illicites. Aux Comores, ils sont plusieurs à être pointés du doigt dans le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la loi relative à la citoyenneté économique, publié en décembre 2017.
Ce sont des représentants officiels du pays à l’étranger. En tant que tels, « les consuls honoraires travaillent pour défendre les intérêts du pays et de la diaspora partout où elle se trouve », rappelle Said Maoulana Mohamed, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères de l’Union des Comores, lors d’un premier entretien qu’il nous a accordée. Devenir consul honoraire exige quelques qualités : l’intégrité, l’honnêteté, la respectabilité, entre autres. « Le ministère mène une enquête de moralité sur la personne avant de lui attribuer un passeport diplomatique avec la mention consul honoraire », affirme-t-il. Et d’assurer : « L’Union des Comores peut retirer son passeport diplomatique à un consul s’il est impliqué dans une affaire louche ou s’il est reconnu coupable d’une affaire criminelle et s’il n’a pas la moralité claire. »
Voilà pour la théorie. Car selon un rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la loi relative à la citoyenneté économique, publié en décembre 2017, la réalité est toute autre. A la page 144, la Commission consacre un long paragraphe à ce qu’elle nomme « Le scandale des passeports diplomatiques ». Le rapport dénonce l’attribution des passeports diplomatiques de complaisance, notamment à des « réfugiés fiscaux » ou à « des affairistes et aventuriers de toute sorte parfois recherchés par les services de renseignements étrangers ou les services d’Interpol (ndlr : l’organisation internationale de police criminelle) », Il cite douze noms. Parmi eux, Zina Wazouna Ahmed Idriss, Lalit Kumar et Yoann Alexis Gandzion.
Zina Wazouna Ahmed Idriss est l’ex-femme du défunt président tchadien Idriss Deby. En 2010, elle est nommée consul honoraire des Comores à la principauté de Monaco. Dans le rapport, elle apparaît sous la catégorie des « réfugiés fiscaux ».
Dans la catégorie « des affairistes et aventuriers recherchés », on découvre le nom d’un certain Lalit Kumar, citoyen de nationalité indienne. « Condamné pour détournement et escroquerie, son passeport confisqué par la justice de son pays, il s’est réfugié à Londres. Il est détenteur du passeport diplomatique comorien, délivré en 2017 par le ministère des Affaires étrangères de l’Union des Comores. Il lui a été accordé une nomination de couverture au poste de consul honoraire à Londres », lit-on dans le rapport.
Vient s’ajouter à la liste : Yoann Alexis Gandzion, « né dans le Val-de-Marne, en France ». D’après le rapport, il a été nommé consul honoraire des Comores au Congo en décembre 2012. Selon nos recherches, cet homme ne serait autre que le fils du sulfureux Maxime Gandzion, conseiller du président congolais Denis Sassou-Nguesso. En 2011, ses comptes bancaires suisses ont été saisis dans le cadre d’une enquête de corruption. Yoann et son père Maxime sont tous les deux cités dans un article du média suisse Public Eye, paru en 2017 et intitulé Gunvor au Congo, cash, et détournements : les aventures d’un négociant suisse à Brazzaville, résultat d’une très vaste enquête portant sur la corruption et le trafic d’influence.
La patate chaude
Pour obtenir des réponses, nous nous tournons vers l’actuel ministre des Affaires étrangères Dhoihir Dhoulkamal, député à l’époque, qui était à la tête de la Commission d’enquête parlementaire sur la citoyenneté économique et bien placé pour répondre à nos questions liées au scandale des passeports diplomatiques décrit dans le rapport. Malgré nos appels téléphoniques et plusieurs messages envoyés par la plateforme WhatsApp, aucune réponse.
Nous lui envoyons alors un mail avec un questionnaire joint. La première partie porte sur le travail des consuls honoraires ; la seconde sur la qualité actuelle des trois consuls cités dans le rapport, avec une question centrale : malgré leur situation licencieuse, voire leur condamnation, ces hommes et femmes protégés par la diplomatie de l’Union des Comores sont-ils toujours consuls honoraires ?
Le ministre des Affaires étrangères accuse réception et nous conseille de « prendre contact avec le directeur de la Coopération et le chargé de communication ». Nous adressons donc un autre mail au directeur de la coopération, Abdillah Imam, en mettant en copie le ministre et le chargé de communication. Surpris par les questions, le directeur de la coopération s’excuse de ne pas pouvoir répondre, car les consuls honoraires ne font pas partie de ses missions : « Après lecture, je me rends compte que la Direction générale de la Coopération n’est pas outillée pour répondre à ce questionnaire ; sachant que les informations demandées sont d’ordre politique et relèvent des questions de Chancellerie. »
Par la suite, nous enverrons un autre mail à Mirhane Bourhane, inspecteur général des affaires étrangères à la Chancellerie, et Abdou Nassur Said, patron du protocole.
Après une relance, nous recevons un mail de Mirhane Bourhane annonçant que le secrétaire général Said Maoulana Mohamed allait apporter des réponses aux questions faisant suite à l’entretien que nous avons déjà eu. Mais une fois encore, c’est le silence total.
Les cas Ali Kazma et Bachar Kiwan
Impossible de connaître le nombre exact des consuls honoraires représentant l’Union des Comores et ses intérêts à l’étranger. Aucune liste ou nom n’est publié sur l’une des plateformes des institutions gouvernementales. Que ce soit sur le site officiel du ministère des Affaires étrangères ou celui de Beit-Salam la présidence, ou dans le journal officiel. Pourquoi une telle opacité autour de ceux que l’on nomme si justement « les diplomates de l’ombre » ? « Parce-ce que ce sont les affaires du ministère », avait coupé court le secrétaire général lors de notre premier et seul entretien, indiquant toutefois qu’il y en avait « beaucoup ». Qu’en est-il de la diaspora ? Pourquoi autant de mystère ? Toujours la même réponse : « Cela ne regarde que le ministère. » Et cette phrase : « Nous sommes en train de restructurer, nous avons commencé le travail et on finira bientôt. » Bien sûr, nous n’en saurons pas plus.
Zina Wazouna Ahmed Idriss, Lalit Kumar et Yoann Alexis Gandzion sont-ils encore détenteurs d’un passeport diplomatique au titre du consulat honoraire ? L’Union des Comores compte-t-elle encore dans ses rangs des consuls honoraires qui se sont livrés à une activité criminelle ? Qu’en est-il d’Ali Kazma, nommé consul honoraire du Liban en 2010, et de Bachar Kiwan, consul honoraire du Koweit, tous les deux disparus des radars ? Mis en cause pour des faits de détournement de deniers publics et complicité pour faux et usage de faux, usurpation de fonction, forfaiture et corruption, la justice comorienne a lancé contre eux un mandat d’arrêt international en août 2019. L’Union des Comores leur a-t-elle, depuis, retiré leur titre et leur passeport diplomatique ? « L’Union des Comores peut retirer son passeport diplomatique à un consul s’il est impliqué dans une affaire louche ou s’il est reconnu coupable d’une affaire criminelle et s’il n’a pas la moralité claire »… Les mots du secrétaire général résonnent encore sans qu’aucune certitude ne lui fasse écho.
(Dessin d’illustration : Matt Rota)