Aux Comores, l’administration fiscale gangrenée par la corruption

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Pour la première fois, des agents et des victimes acceptent de lever le voile sur le système “mafieux” qui sévit depuis des années au sein de l’Agid, l’Administration générale des impôts et du domaine. Racket, détournement d’argent, pots de vin… tout le monde sait mais laisse faire. Qui peut sauver l’institution ?

L’histoire est digne d’un scénario de série télévisée. A Moroni, un groupe d’hommes s’est constitué pour soutirer de l’argent aux commerçants. Des bandits ? Non, des agents de l’administration fiscale comorienne. Mais les méthodes sont assez similaires.

La scène commence avec un chauve dans une grosse voiture et un accoutrement chic, accompagné de son bras droit, un grand gaillard, au ton de voix imposant. Leur cible : les grandes entreprises. Pour les petites, c’est une autre bande qui opère. Ils sont deux ou trois. L’un garde la porte pendant que les autres entrent. C’est à ce moment-là que le propriétaire du commerce commence à devenir nerveux. Il sait ce qui l’attend. Avançant vers le comptoir ou l’arrière-boutique, ses visiteurs lui lâchent : « Tu dois payer sinon on ferme ton magasin. »

Beaucoup de gérants cèdent, le cœur lourd, et s’en remettent à la justice divine, en espérant qu’un jour le karma finisse par jouer de son effet boomerang. D’autres, n’attendent pas que les cieux fassent le travail et décident de se battre. Parfois, ils gagnent, parfois, ils perdent.

Cette histoire n’est pas une fiction. Tout est vrai. Bienvenue dans les relations fiévreuses entre l’Agid, l’Administration générale des impôts, et les contribuables comoriens. Un monde de manigances, gangrené par la corruption jusqu’au sommet. Une institution étatique, dirigée par Hamadi Mohamed Soihir, que les contribuables comoriens victimes de ses abus n’hésitent pas à qualifier de “mafia”. « Ce sont des escrocs en bande organisée. Ils se croient tout permis. Ils te disent directement : si tu nous payes, nous réglerons tes soucis avec les impôts. »

Des témoins ont accepté de nous parler des pressions et menaces qu’ils ont subies à condition de garder l’anonymat. “Je veux bien vous expliquer, mais cette histoire est vraiment délicate. Si vous citez mon nom ou mon commerce, j’aurai beaucoup plus de problèmes”, s’inquiète ainsi un grand commerçant de la place. Fatima, Faissoil, Ahmed et Mohamed Ali sont autant de prénoms d’emprunt que nous leur avons attribués. Tous racontent leurs mésaventures auprès de l’administration des impôts aux Comores. Les histoires varient selon que vous soyez une grande entreprise ou une PME.

Pour les petits commerçants, ce bras de fer avec l’Agid, c’est un peu David contre Goliath. Depuis dix ans, Fatima vend des matériaux de construction et d’alimentation à Moroni. Cette diplômée en commerce se sent coupable mais dit ne pas avoir la force de se battre. Résignée et honteuse, elle avoue :  “Je sais que les impôts n’ont pas le droit de débarquer et de fermer nos magasins, mais je paye quand même. Oui, j’avoue, avec regrets. Mais si je ne les paye pas, ils ferment. Je ne peux pas me le permettre. J’ai trois enfants dans une école privée. Alors, je les laisse m’escroquer et m’en remets à Dieu.” 

Faissoil, commerçant au nord de Moroni, verse lui aussi de l’argent aux agents des impôts. “Lorsqu’ils viennent et que vous essayez de leur faire entendre raison, ils sortent, ils discutent, reviennent comme si de rien n’était pour vous dicter un montant et puis vous négocier.”

Ahmed se plaint d’avoir joué le jeu, d’avoir accepté d’entrer dans ce système infernal. “J’ai essayé d’être une personne honnête, de m’acquitter de mes dettes vis-à-vis des impôts. Mais ces gens n’ont pas de cœur, ne suivent aucune règle. Aujourd’hui, je refuse de les payer. Tout comme eux, je fraude. J’ai trouvé la parade pour ne pas m’acquitter de mes impôts.” Il ajoute : “Je sais que je suis dans l’illégalité la plus totale. C’est triste, mais que voulez-vous ? Le pire est que j’arrose quand même certains agents de l’Agid.”

Mohamed Ali dirige, lui, une grande entreprise. Il a refusé de céder aux pressions. Son cas est emblématique. Mohamed Ali a ouvert son commerce fin 2016. Il a été exonéré d’impôts pour les trois derniers mois de l’année, puis s’est acquitté régulièrement de ses obligations fiscales. Pourtant, en 2021, l’Agid envoie au chef d’entreprise des avis de mise en recouvrement à tout va, lui réclamant un montant total de 23 millions KMF. Pas moins de quatre avis de recouvrement en l’espace de quatre mois, tous signés de la main de l’ancien chef du service recouvrement, Saïd Ahamada, aujourd’hui directeur des petites et moyennes entreprises.

Des courriers et des menaces

Mohamed Ali tombe des nues et adresse une lettre de contestation au directeur général de l’Agid, pour comprendre ce qu’on lui réclame. Cette lettre est le premier document d’une longue série aujourd’hui regroupée au sein d’un volumineux dossier qu’il nous tend, dans un fou rire nerveux. “Je vous demande juste de regarder ce dossier. Il y a là certaines choses que vous comprendrez toute seule et sans avoir besoin de connaître les textes réglementaires des impôts.”

En effet, dans ces avis de mise en recouvrement, rien n’est cohérent. Dans le premier courrier, en date du mois de février, l’Agid exige le règlement de 23 millions KMF, pour une période allant de 2016 à 2018… alors que son entreprise était exonérée la première année et qu’il s’était acquitté de ses obligations fiscales en 2017, comme le prouve un quitus fiscal en sa possession. 

Dans le deuxième courrier, c’est la période du 25 juillet au 16 décembre 2020 qui est visée… pour le même motif et le même montant ! Soit 23 millions KMF exigibles pour une période de cinq mois… “C’est le summum de la bêtise !”, s’insurge Mohamed Ali, qui accuse l’institution de travailler en aveugle.

Nous avons rencontré Saïd Ahamada, aujourd’hui directeur des petites et moyennes entreprises, dans son bureau de l’Agid, au troisième étage. Il confirme mais assure ne pas avoir commis de faute. “La brigade ne maîtrisait pas le système. Et comme l’affaire traînait, j’ai juste signé et envoyé.” Au mépris total de la loi.

Le chef de la Brigade de vérification nationale, Toihir Saïd Mohamed, affirme ne rien savoir de cette affaire tandis que le directeur des grandes entreprises, Ibrahima Ahamada Mohamed, se dédouane : “S’il y a des problèmes, cela ne vient pas de mon service”, ajoutant : “Nous avons toujours eu des relations correctes avec les grandes entreprises.”

Les coups de pression et l’intimidation ne fonctionnant pas, le ton change. Mohamed Ali fait face désormais aux menaces téléphoniques par SMS et sur WhatsApp. Le nouveau chef du service recouvrement, Bourhane Abdou Attoumani, fraîchement nommé en remplacement de Saïd Ahamada, a décidé d’utiliser la manière forte pour faire plier les commerçants indociles.

Le 24 décembre 2021, il envoie, sans cacher son numéro, à Mohamed Ali, alors en déplacement à l’étranger, ce message : “Bonjour Monsieur… C’est Agid, chef recouvrement, d’après plusieurs semaines qu’on passe au magasin pour réclamer l’impôt de l’état tu n’es plus là, et on laisse les informations, pas de réponse tu vas nous excuser mais on va devoir changer de méthode merci [sic].” Ce à quoi Mohamed Ali lui répond : “Qui me menace de la sorte via un SMS ? Merci de communiquer votre nom.” Loin de s’arrêter là, le chef de recouvrement se défend tout en revenant à la charge : “Je m’excuse c’est pas du menacée c’est juste vous montrer qu’il y a plusieurs procédures, merci de votre compréhension [sic].” 

Bourhane Abdou Attoumani, pourtant nullement habilité à faire ce genre d’opération, va mettre ses menaces à exécution en faisant cadenasser le commerce de Mohamed Ali. Le 7 février, ce dernier rentre au pays. Quatre jours après, Bourhane lui envoie un émissaire pour négocier en privé la réouverture de son commerce en échange d’une somme d’un million KMF. Refus total de payer, qui déclenche une deuxième négociation. Cette fois, le chef du service recouvrement, accompagné de trois de ses collègues, décide de rendre visite à Mohamed Ali. “Comme tu nous dois 23 millions, il faudrait que tu nous laisses trois millions de caution pour ouvrir ton commerce, réclame Bourhane. Je demande 3 millions car ce n’est rien du tout.” 

Alors que Mohamed Ali fait appel au service contentieux de l’Agid, celui-ci est rapidement mis hors jeu par le directeur général, Hamadi Mohamed Soihir, et Bourhane Abdou. Mohamed Ali, aidé de son avocat, décide d’envoyer le dossier en référé devant le juge. 

Des tribunaux dépassés

Le jour où nous rencontrons le chef du service recouvrement à son bureau pour obtenir des explications, il dit souffrir d’une crise de paludisme et prétexte une forte fièvre. Bourhane tient tout de même à savoir pourquoi nous voulons nous entretenir avec lui. Un peu agité, il se met debout et demande à ce que nous soyons bref, car il doit à tout prix prendre des médicaments qui sont dans sa voiture. Il nous interdit formellement d’enregistrer notre conversation et de prendre des notes. Il n’est pas prêt, explique-t-il.

Il affirme que depuis qu’il a pris ce poste, il n’a jamais menacé qui que ce soit. Toutefois, il dit être en droit d’utiliser tous les moyens pour que le contribuable paie : “Vous savez, l’argent est le nerf de la guerre.” Il n’est pas à une contradiction près : “Nous n’avons pas à obliger quelqu’un à payer, et je suis en droit de fermer un commerce si le proprio refuse de payer ses impôts.” Quand on lui parle de Mohamed Ali, l’entretien tourne court. “ Je vous ai dit que je suis malade, on se verra une autre fois.” Et cela sera à ses conditions : “Si vous venez ici pour me poser des questions sur ce que d’autres personnes vous racontent, je ne répondrai pas. Je ne répondrai que si ce sont des questions sur la démarche de mon travail.

Nous n’obtiendrons pas davantage d’explications de la part du directeur général, Hamadi Mohamed Soihir. Malgré nos multiples relances en vue d’un entretien, il n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, en renvoyant la balle à son chargé de communication. Une attitude de fuite qui a irrité Mohammed Ali, dont les nombreux courriers sont restés lettre morte. “Même face aux menaces du chef du service recouvrement, il n’a rien dit. C’est vraiment honteux”, se plaint-il.

En février 2022, le magasin de Mohamed Ali reste clos. L’affaire est désormais entre les mains du président du tribunal de première instance, le juge Aliamane Ali Abdallah. Contre toute attente, le magistrat ordonne la réouverture à une condition : uniquement si le chef d’entreprise paie 11 millions KMF. 

Pourquoi une telle somme ? Le juge Aliamane, rencontré à son bureau, se défend : “C’est mon droit de prendre une décision et le client a le droit de contester. Ce sont des choses qui arrivent souvent. C’était le cas dans les affaires Moroni Terminal et Coca Cola. Ce que vous devez comprendre, c’est que c’est à chaque fois une question urgente. Moi, je ne reçois pas de dossier à étudier sur ces affaires. On me demande juste de statuer, ce que je fais.”

Finalement, le dossier de Mohamed Ali atterrit sur la table de l’ancien ministre des Finances, Kamalidine Souef, qui convoque le directeur de l’Agid, Mohamed Soihir, accompagné du chef du service recouvrement. Après des explications, le ministre exhorte le directeur de rouvrir le commerce et de trouver une solution à l’amiable.

Une nouvelle négociation a donc lieu. Dans l’enregistrement que nous nous sommes procurés, on entend clairement le directeur et le chef du service recouvrement demander à Mohamed Ali combien il peut payer. “Même un montant symbolique”, indique le directeur. A la fin de la conversation, on les entend jubiler : “Ok, ok, c’est bon 450 000.” A bout, Mohamed Ali a cédé. Il a réglé un montant arbitraire pour un motif imaginaire. Dans la décharge écrite à la main et fournie par l’administration des impôts, on lit : “nature de paiement, redressement 2016 à 2018”, alors qu’à cette époque le chef d’entreprise a toujours été en règle. Pour lui, de l’escroquerie pure et simple.

Lorsque nous lui avons demandé pourquoi il avait payé, il a répondu simplement : “J’avais déjà perdu beaucoup de millions depuis la fermeture. Je me suis dis : si je paye les 450 000 et je rouvre, j’aurais une chance de rattraper le coup.

Le cas de Mohamed Ali n’est pas isolé. Et si lui a fini par payer, beaucoup de grandes entreprises aux Comores refusent de se soumettre au diktat de l’Agid et de sa bande. Elles préfèrent faire confiance à la justice. Moroni Terminal, gestionnaire du port de Moroni, que l’administration voulait imposer à hauteur de 750 millions KMF, a porté l’affaire devant les tribunaux. L’entreprise a obtenu gain de cause et n’a versé aucun centime à l’Agid. Coca Cola, elle, sur 400 millions imposés n’a versé que la moitié. Même chose pour AGK.

Un duo au cœur du scandale

Le racket n’est pas le seul scandale à l’Agid. Parmi les griefs soulevés par les grandes entreprises, un nom revient sans cesse : celui de Zakaria Mlaili, inspecteur vérificateur et conseiller du directeur, comme on peut le lire sur le site internet de l’administration fiscale. Les grands patrons l’accusent d’outrepasser ses droits en négociant en douce et de ne pas être habilité comme le veut la loi à les contrôler. “Il n’a ni les compétences ni le statut qu’il faut, charge l’un deux. Comment voulez-vous que ça marche si vous envoyez une personne qui n’a pas les capacités pour contrôler une entreprise qui vaut des milliards.”

Pour devenir inspecteur vérificateur, il faut avoir fait deux ans d’études en Afrique dans une école spécialisée ou douze mois dans une école nationale des impôts en Europe. Nous avons posé la question à l’intéressé, qui dit avoir fait sa formation en Belgique en 2011. Mais par contre, pas moyen de savoir dans quelle école. “Pourquoi vous posez toutes ces questions ?”, réplique-t-il. Le chef de la Brigade de vérification nationale, Toihir Saïd Mohamed, ne confirme pas la formation de Zakaria : “Je l’ai trouvé là lorsque j’ai pris ce poste. Je n’ai jamais vu son diplôme.”

Pour en avoir le cœur net, nous avons poussé nos recherches. Sur sa fiche signalétique dont nous avons eu copie, un seul diplôme est mentionné : une licence économique obtenue en 2008 à l’Université Mohammed Premier au Maroc. Nulle trace d’un diplôme d’inspecteur vérificateur des impôts. Plus bizarre encore la mention qui indique que, dans sa “situation actuelle”, Zakaria Mlaili est “inspecteur des administrations financière et économique échelon 1”, avec toutefois un indice 775 correspondant à l’échelon 2 et à un niveau master 2…

Mais, son incompétence n’est pas le pire reproche à lui faire. Nombreux sont ceux qui mettent en cause sa probité. Un temps pressenti pour reprendre le flambeau de son ami, Mohamed Soihir, le décret présidentiel a fini dans la déchiqueteuse de Beit-Salam. Zakaria aurait été imposé par l’ancien ministre des Finances, Kamalidine Souef, et n’aurait pas fait l’unanimité auprès des ténors du pouvoir. “Cet homme n’a rien apporté à l’institution depuis qu’il est là”, explique une source à Beit-Salam.

Zakaria Mlaili balaie toutes ces accusations d’un revers de main. “Ces personnes racontent n’importe quoi, elles veulent détruire les gens. Ici, je fais juste mon travail. Et j’agis dans des missions spécifiques. Comme les gens savent que je suis incorruptible, je suis devenu la cible. Ils veulent me salir.

Pendant trois jours, nous avons arpenté sans relâche les locaux de l’administration fiscale. Nous avons rencontré pratiquement tous les chefs des départements et discuté avec le personnel. Au troisième étage, le respect est de mise dans les couloirs. Les gens se courbent, distribuant des “bonjour Chef”, “merci Chef”, “au revoir Chef” et des grands sourires. C’est une tout autre histoire lorsque vous pénétrez dans les bureaux et que les portes se referment. Les visages trahissent la fatigue et la lassitude. Le ton oscille entre soupçons, incompréhension et ras-le-bol. “Non, je ne suis pas du tout heureux de travailler ici”, confie un chef de département.

Dans ces bureaux, personne ne comprend rien, tout est questionnement : comment ces affaires finissent-elles aux oubliettes ? Si l’administration fiscale est bien dans son bon droit, comme l’assurent ses responsables, et si les montants réclamés sont dus, pourquoi ces entreprises ne paient-elles pas au final ou alors une somme bien en dessous ? La réponse est simple, avoue un chef de département : “Nous ne sommes que des pions sur l’échiquier que jouent Zakaria Mlaili et Mohamed Soihir.” Certains d’entre eux accusent ouvertement le directeur et son conseiller de malversations. 

Ni le directeur des grandes entreprises, Ibrahima Ahamada Mohamed, ni le chef de la Brigade de vérification nationale, ni d’ailleurs le service contentieux ne semblent être au courant de ce qui se passe. 

“Toute l’administration est mouillée”

Deux témoins, qui travaillent à l’Agid, mettent en cause toute l’administration. Nous rencontrons Habib (prénom d’emprunt), la quarantaine, un vendredi, boubou et bonnet sur la tête. A peine la conversation entamée, qu’il se met à rire : “Vous êtes complètement malade. Vous voulez que je vous dise comment on fait ? D’accord”. Il nous confirme que selon qu’il s’agisse d’une grosse ou d’une petite entreprise, les modalités ne sont pas les mêmes. “Lorsqu’il s’agit d’une grosse entreprise, d’un gros importateur, son dossier ne va pas passer par moi, mais c’est en haut de l’échelle, c’est le domaine de Zakaria et le directeur. D’ailleurs, c’est Zakaria qui s’occupe des grandes sociétés.” Tout en souriant, il ajoute : “C’est une zone interdite…

Tout d’un coup, il sort une carte de sa poche portant le nom d’un commerçant. “Regarde, aujourd’hui, ce commerçant m’appelle. Il ne s’est pas acquitté de ses droits de patente pendant quatre ans. Et là, il en a besoin, le plus rapidement possible. Moi j’accepte de l’aider, je vais bien chuchoter à la machine, mais je prendrai les deux ans et les deux autres iront aux impôts.” 

Il joue franc jeu : “En réalité, beaucoup d’entre nous ne versent rien du tout à l’institution une fois qu’ils ont pris l’argent auprès des commerçants.” Habib faisait partie de ceux-là il y a quelques années. “Avant, lorsque j’étais jeune, c’était simple. Je faisais une liste des commerçants qui me versaient de l’argent, et je disais aux agents : “vous n’avez pas le droit d’aller demander quoi que ce soit à ces commerçants, c’est moi qui m’en charge”.  je passais juste prendre l’argent et ils étaient tranquilles.” 

Habib refuse que l’Agid et ses agents soient tenus pour seuls responsables de cette corruption : les commerçants qui fraudent les encouragent à poursuivre le système. “Ce n’est pas nous qui avons créé cette situation. La règle de la corruption est qu’il faut deux personnes.” Il avoue que depuis qu’il travaille au sein de l’institution, il ne connaît que trois personnes qui n’ont jamais accepté de l’argent des commerçants. Les autres profitent de ce que Habib appelle “un échange de bons procédés”.

Certains chefs de département sont aussi corrompus, comme nous le confie l’un d’entre eux. “Vous savez tout le monde prend quelque chose à l’Agid. Mais beaucoup ont décidé de faire ça dans le silence en restant discrets. Ce qui gêne tout le monde ici, c’est l’attitude prétentieuse du directeur et de son conseiller Zakaria. Allez-y ! Toutes nos affaires avec les grandes entreprises finissent par tomber à  l’eau. Demandez-vous pourquoi ?” Ce responsable n’y va pas par quatre chemins : “Depuis que Hamadi Mohamed Soihir a pris la tête de cette institution, rien ne va plus. Tout ce qui l’intéresse, c’est l’argent. Les employés ne comptent pas. Les contribuables sont juste des machines à billets, c’est vraiment regrettable.”

Le système de corruption généralisé au sein de l’Agid est un secret de Polichinelle. L’Union des chambres de commerce (UCCIA) est régulièrement saisie par des commerçants qui viennent dans ces lieux pour se plaindre du comportement et des abus de l’administration des impôts. Le président reconnaît que les rapports entre l’Agid et les commerçants sont devenus un “souci majeur”. Chamsouddine Ahmed fustige un système de “corruption et anti-économique installé dans le pays depuis longtemps”. Son argument est clair :  il est inconcevable de fermer les commerces des citoyens comoriens pour les contraindre à payer leurs impôts. Tout en sachant que “chaque fois qu’on ferme, ce n’est pas uniquement le commerçant qui perd mais l’État aussi”. Dans l’état actuel des choses, explique-t-il, il n’est plus question de chercher de mesures palliatives, mais des solutions qui vont perdurer en vue d’“éradiquer la corruption qui gangrène l’administration d’une manière générale et particulièrement la corruption de l’Agid”.

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