En haut du dos, Marie arbore le tatouage d’un serpent qui mord une fleur d’hibiscus, en guise de témoignage de ses souffrances.
A 26 ans, cette jeune étudiante comorienne rêve de devenir sa propre patronne. Mais pour en arriver là, il lui a fallu surmonter de nombreux obstacles. Elle nous raconte son enfance entre les Comores et la France, sa vie d’errance, ses questionnements, son combat pour se bâtir un avenir. Son histoire, c’est aussi celle de tous les enfants livrés à eux-mêmes, d’un tabou qu’elle ne peut plus taire.
Marie (1) revient de loin. A 26 ans, la jeune Comorienne semble avoir enfin trouvé un équilibre. Etudiante en deuxième année d’administration économique et sociale, à l’université de son pays de naissance, cette passionnée d’esthétisme rêve de prendre soin des femmes et de devenir sa propre patronne. Des ambitions qu’elle n’aurait jamais imaginé possibles il y a encore quelques années de ça, elle qui a vécu dans la rue…
Marie n’est qu’une petite fille lorsque ses parents d’origine comorienne immigrent en France. « J’avais juste deux ans lorsque nous sommes partis à la Réunion. J’y ai vécu 20 ans », raconte-t-elle. Son cauchemar commence lorsque certains membres éloignés de sa famille parlent derrière son dos, affirmant qu’elle n’est pas la fille biologique de sa mère. « Je ne me suis jamais sentie à l’aise avec elle. Elle était toujours sur la défensive. Alors que moi, j’avais juste besoin d’une mère », dit-elle. La jeune adolescente s’interroge, peine à trouver sa place dans cette famille qui lui semble étrangère.
Le père est absent. « Quand je me bagarrais avec ma mère, il n’a jamais essayé de détendre l’atmosphère ou de m’expliquer, voire de me parler. Puis, il est parti avec une femme plus jeune que ma mère et a fondé une autre famille que je ne connais pas.» Marie a une sœur. « Mais on ne s’entendait pas. »
A 18 ans, à la rue
La veille de son 18e anniversaire, la situation dégénère. « Je ne pouvais pas passer mon bac, car j’avais manqué une journée de stage. J’avais été malade mais je ne pouvais pas le justifier. Au lieu de me faire redoubler la classe, ma mère a décidé de me sortir de l’école. » Marie est effondrée. « Il était hors de question que je reste à la maison à ne rien faire. J’ai décidé de partir. Pour moi, les études sont les piliers de notre vie. Qu’est-ce que j’allais devenir ? J’ai pris mes affaires, j’ai regardé la maison une dernière fois et je suis partie. »
Livrée à elle-même, elle se retrouve à la rue. Pendant deux semaines, elle erre. Sans abri. Sans famille. Sa mère ne cherche pas à la retrouver. La fracture est nette, la rupture consommée. « Après deux semaines à dormir dans la rue, je suis partie chez ma tante. Mais je ne pouvais pas rester là-bas non plus à cause de la pression que ma mère exerçait sur elle. Elle n’arrêtait pas de lui demander : « Pourquoi tu laisses ma fille rester chez toi ? ». Je sentais aussi que ma tante craignait que j’exerce une mauvaise influence sur ses enfants. » Une nouvelle fois, Marie plie bagages.
Soutenue par son petit ami, elle se résout à contacter l’assistance sociale. « Je n’avais pas d’autre choix. » L’une des meilleures décisions de sa vie. Marie est placée dans une famille d’accueil. « Pour la première fois, je me suis sentie normale. Comme une enfant devrait toujours se sentir au sein de sa famille. J’ai appris à raconter ma journée, car on me demandait comment ça s’était passé. On m’a appris à être responsable. Cela n’avait jamais été le cas avec ma mère. »
Un tatouage pour exorciser ses souffrances
En famille d’accueil, elle décide de se faire tatouer, comme pour exorciser tous ses démons. Tout mettre dans ce tatouage. Un tatouage qui reste pourtant un questionnement. Dans le haut du dos, un serpent recouvre ses trapèzes. En forme de point d’interrogation, il mord une fleur d’hibiscus. « Le point d’interrogation, c’est toute ma vie. Tant de questions. Pourquoi je n’ai jamais eu de relations avec ma mère ? Est-elle vraiment ma mère biologique ? Qui suis-je ? D’où je viens ? Toutes ces questions qui, à 26 ans, restent toujours sans réponses. » Encore maintenant, « à chaque fois que j’essaie de poser la question de mes origines à ma mère, elle me dit : « Si tu connais ta vraie mère, va la rejoindre alors. »
La fleur de son tatouage, elle la dédie à l’homme qui l’a éduquée dans cette famille d’accueil. « Il a fait office de père que je n’ai jamais eu et de mère en même temps. C’est lui qui m’a donné mon premier travail. »
Sur le conseil de l’assistante sociale, Marie part en France, munie d’un laisser-passer, faute de papiers. « Je n’avais pas mes papiers avec moi. Ma mère avait pris soin de me les prendre. » Seule, elle se débrouille. Elle fait des petits boulots et suit une formation en secrétariat.
Trois ans plus tard, elle reçoit un coup de fil. C’est sa mère. « Je ne sais même pas comment elle a eu mon numéro. Elle me demande de revenir à la Réunion. Je me dis alors que la conscience lui ait revenue, qu’elle regrette. » La jeune femme déchante très vite. « Elle me tient un discours du genre : « Les choses sont compliquées, il faut que tu retournes aux Comores pour tes papiers. » Sans donner d’explications, sans questions, rien. Ni sur moi, ni sur ce que j’ai fait pendant tout ce temps, rien du tout. Comme si j’étais une étrangère. »
Retour aux sources
Bien que née dans une famille de confession musulmane, Marie ne reçoit pas d’éducation religieuse. « Ma mère ne me parlait jamais de religion. C’est tout le contraire. Lorsqu’elle voyait les Mahorais avec le foulard, elle les critiquait. C’est moi qui ai insisté pour aller à l’école coranique lorsque j’étais petite. Là-bas, on m’a appris à lire le Coran et à faire la prière. » Mais sa foi chavire avec les remous de la vie. « Lorsque j’ai fait mon tatouage, j’étais athée. Je n’avais pas de religion. D’ailleurs, je ne savais même pas que c’était interdit par l’islam. Lorsque je suis rentrée aux Comores en 2013, j’ai décidé de retourner au chioni. C’est là que j’ai su. » Elle marque une pause : « J’en ai tellement bavé… Beaucoup me jugent pour ça. Mais je me suis pardonnée mon ignorance. Forcément Dieu me pardonnera. »
Revenue aux Comores, le plan est de faire un nouveau passeport avant de repartir en France. « Mais, j’ai décidé de rester et de respirer. Je sortais d’une relation très difficile. Il fallait que je fasse le point, que je me reprenne en main, que je vide ma tête. » Marie s’inscrit en classe de terminale pour passer son bac. « Je l’ai eu du premier coup. Ma mère voulait que je reparte, mais j’ai dit non, je reste-là. Je me suis inscrite à l’université des Comores. Cela fait déjà deux ans. J’attends d’avoir ma licence. »
Une leçon de vie
« Si vous me demandez si j’ai des regrets, je n’en ai qu’un seul : celui de ne pas avoir eu une enfance comme les autres. Et particulièrement, de ne pas avoir été à l’école coranique. Ça, je le regrette vraiment. J’ai appris par contre à ne compter que sur moi, à assumer mes choix et mes responsabilités. Je porte en moi beaucoup de blessures. Peut-être, qu’un jour, elles disparaîtront. Peut-être pas. Mais je n’ai pas de regret d’être partie de la maison. J’assume. »
Marie parle sans relâche : « Je crois surtout que je ne suis pas la seule enfant comorienne, abandonnée, livrée à elle-même, qui a vécu cette situation. Je pense qu’ici, aux Comores, si nous avions un système d’assistance sociale, beaucoup d’enfants iraient les voir. Mais, ici, on nous apprend à nous taire. Tout ce que j’espère, c’est de ne pas donner la même éducation que j’ai eue à mes enfants. »
(1) Nous avons choisi de changer le prénom pour préserver l’anonymat.